Fais pas ci -Fais pas ça! -Les bonnes manières

Publié le : 01/06/2015 12:11:40
Catégories : Les arts de la table en France

"Lave toi les mains !" - "Ne mets pas tes coudes sur la table !" - "Cesse de te dandiner sur ta chaise !" - "Ne parle pas la bouche pleine"

Illustration de la civilité puérile et honnête de M.B. De Monvel. du XXème siècle.

Que celui ou celle qui n'a jamais entendu une seule de ces règles me jette la première pierre. Mais avant de jeter quoi que ce soit, gardez votre projectile dans la main et lisez les lignes qui suivent.

Savez-vous depuis quand et pourquoi il est de mise d'appliquer ces règles que l'on appelle plus communément "bonnes manières" ?

Des textes sur ce sujet existaient déjà pendant l'Antiquité, mais c'est au cours du XIIe siècle que les bonnes manières réapparaîtront dans les milieux monastiques et à la table des élites et des princes du monde occidental.

Le Moyen-Age n'a pas été dénué de savoir-vivre: en effet, l'homme courtois se devait déjà d'être pourvu d'hygiène et de tempérance. Malgré la promiscuité régnant à table à cette époque, les écuelles, gobelets, tranchoirs (tranches de pain faisant office d'assiette), cuillères et même serviettes étaient partagés entre les mangeurs. Les règles de bienséance à table étaient donc liées à cette proximité entre les convives. Par exemple lorsque les gobelets ou les cuillères étaient partagés, il fallait veiller à la propreté de ces ustensiles. Il était également recommandé de ne pas plonger son bout de viande dans la salière commune, de ne pas offrir un morceau que l'on avait déjà eu en bouche, de ne pas se moucher dans la nappe, de manger vite, beaucoup, bruyamment, ou de s'enivrer.
Au Moyen-âge, pour éviter de passer pour un gueux,  il faut donc se contrôler et respecter ses convives par quelques règles élémentaires.
Ces "contenances de tables" étaient enseignées aux enfants de l'aristocratie et dans les petites écoles urbaines, sous forme de vers :

"Ne parle point la bouche pleine / Car c'est laide chose et vilaine"

Il faut savoir qu'à l'époque, c'est l'Italie qui passait pour le centre du monde des bonnes manières et du raffinement : on y maniait déjà la fourchette au XIe siècle et l'assiette. Ces ustensiles arriveront beaucoup plus tardivement en France. Louis XIV mangeait encore avec ses doigts et interdisait à ses petits-fils d'utiliser une fourchette, il trouvait cela efféminé. Quant à l'assiette individuelle, que François 1er découvrit en Italie, elle ne s'imposa qu'à partir du XVIIe siècle. Pour que l'utilisation du verre individuel se généralise il faudra attendre le XIXe siècle, même si dans les classes populaires on pouvait encore boire au même pot.

Il y a un homme à qui l'on attribue de grands progrès en termes de bonnes manières. C'est le prince des humanistes, Erasme de Rotterdam (1466-1536) qui a regroupé aux alentours de 1530 une somme importante de conseils concrets pour la vie de tous les jours dans des situations aussi diverses que l'église, les rencontres, l'habillement et bien sûr le repas. Les conseils  rassemblés dans La civilité puérile étaient bien écrits, clairs et précis : avant manger " aie soin de lâcher auparavant ton urine à l'écart, et si besoin est, de te soulager le ventre"  -  Grâce et volupté, non ?

Un homme de très bon conseils ce Erasme : "Ne plonge pas le premier tes mains dans le plat que l'on vient de servir : on te prendra pour un goinfre et c'est dangereux"  ou encore "Il est discourtois de lécher ses doigts graisseux ou de les nettoyer à l'aide de sa veste. Il vaut mieux se servir de la nappe ou de sa serviette".

La civilité puérile a été écrit pour Henri de Bourgogne, mais à peine publié cet ouvrage deviendra un des plus connus d'Erasme. Le best-seller deviendra un véritable ouvrage de référence durant des siècles en termes de bonnes manières en société. Malgré la diffusion massive de l'ouvrage, l'évolution se fait lentement comme en témoigne l'utilisation de l'assiette et de la fourchette.

Cette époque marque un tournant dans la manière de se tenir à table, il faut désormais manger proprement, contrôler ses instincts, prendre de la distance avec la nourriture et les autres convives et tous ces changements n'allaient pas de soi. C'est une mutation profonde de la société  qui a mené vers une "civilisation des moeurs" (d'après le sociologue allemand Norbert Ellias) et une modification de la culture du goût. Désormais, s'alimenter avec retenue et modération permet de s'adonner aux plaisirs de la table sans être accusé du péché de gourmandise. La gastronomie est née, littéralement elle signifie "l'art de régler l'estomac". Les bonnes manières ont modifié le rapport à l'alimentation et les prises de repas puisque avec elle, il était devenu acceptable de profiter de la bonne chère. Ce qui fit émerger une cuisine réputée aux XVIIe et XVIIIe siècles, d'ailleurs c'est avec toutes ces mutations que le gourmand (décrié dans les écrits d'Erasme) a pu devenir gourmet, mangeur raffiné dans ses goûts comme dans ses moeurs.

Modèle de disposition à la française à suivre pour vos prochains repas de gourmet.

Voilà, à la façon d'un œuf brisé par le bec du poussin, toi gourmand tu t'es élevé au rang de gourmet avec les bonnes manières qui te caractérisent ! Félicitations ! D'ailleurs il ne fait aucun doute que désormais lorsque tu recevras des invités dans ta demeure tu dresseras ta table de cette manière avec une petite pensée pour Erasme...

Si tu es un gourmet curieux ou si l'envie te prend de devenir un gourmet érudit alors laisse-toi tenter par la découverte de Provins et de l'alimentation médiévale ou encore par la visite de Versailles et du potager du roi !